• Le yoga et la relation à l’autre

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    Quelle que soit l’envie que nous ayons de trouver un endroit solitaire pour échapper à la foule et au bruit, nous en reviendrons toujours à cette évidence : l’homme est fait pour vivre en groupe.

    Si le yoga ne tient pas ce fait inéluctable en ligne de compte, il ne saurait répondre à sa définition : le yoga est la science de la juste manière de vivre.

    Dans sa racine, le mot Yoga porte la notion de lien. Nous devons lui demander de nous relier à nous-mêmes, mais aussi à l’autre.

    Je vais dans ma salle de yoga. Je m’installe sur mon tapis de sol comme sur ma petite île de paix ; les yeux fermés, j’écoute la voix du professeur. Elle vient du fond des âges pour m’aider à me retrouver moi-même. Oui, je sens mon corps, et les courants d’énergie qui me traversent. Je ne peux éprouver leur sillage que si je me coupe de l’ambiance extérieure qui me baigne d’habitude. Comme disent les textes zen : « Je retourne à la maison ». J’ai fermé mes volets, tiré mes persiennes, j’ai oublié le monde et ses tracas. C’est déjà beaucoup.

    Cependant, l’erreur consisterait à m’en tenir là. Beaucoup de gens se sont laissés prendre au piège, et ont fait de leur recherche intérieure un refuge, une tour d’ivoire, l’emblème d’une fuite.

    En fait, une vie réussie ne se plaît ni dans la solitude, ni dans la société. Nous avons besoin d’unir ces contraintes. On lit dans les Mémoires d’un homme qui s’était retiré au fond des bois cette phrase : « J’ai, dans ma hutte, une chaise pour la solitude, deux pour l’amitié, et trois pour la société ». Ainsi de notre existence : nous ne trouvons l’équilibre que dans un ajustement aux lois de la vie.

    Croire que le Yoga consiste à baisser la tête vers son nombril est une erreur que la tradition nous pousse à éviter. En effet, c’est dans le système des ashrams que le yoga s’est perpétué jusqu’à nos jours.

    Or, qu’est-ce qu’un ashram? C’est le lieu d’une vie communautaire centrée autour des enseignements transmis par le maître à ses disciples. A la base, il y a un contrat tacite : le maître enseigne, et les disciples s’ingénient à faciliter la vie matérielle de celui qui les guide.

    Il est émouvant de constater que la vie spirituelle a besoin du manger, du boire et du dormir pour prendre son essor.

    De même, nos nécessités pratiques deviennent belles d’être inspirées par un idéal qui les dépasse mais leur donne un sens profond.

    Un sage zen disait : « Avant l’illumination, coupez du bois, allez chercher de l’eau à la fontaine, après l’illumination, coupez du bois, allez cherchez de l’eau à la fontaine ». Ainsi peut-on dire : « avant l’illumination, j’ai parlé à mon frère, à mon ami, à mes élèves, après l’illumination, j’ai parlé à mon frère, à mon ami, à mes élèves ».

    Le yoga ne saurait en aucune manière nous couper du monde. On a remarqué que ceux qui s’engagent sur la voie subissaient pour un temps la contrainte d’un repli, comme si la nouveauté de leur expérience les obligeait par contraste à rejeter pour un temps ce qu’ils avaient aimé.

    Pourtant une trajectoire éprouvée ramène le chercheur vers ses semblables. L’aventure est arrivée au Bouddha : ayant atteint l’illumination, on dit qu’il eut à faire un choix entre une joie éternelle et un retour à l’humanité. Il choisit l’homme. Et depuis, les grandes âmes, les Mahatmas sont devenus pareils à lui : boddhisattvas. Des hommes et des femmes éclairés qui reviennent se jeter dans la mêlée.

    Un sage rabbin disait : « Si je veux sauver celui qui se noie, je ne le tirerai pas d’en haut par les poignets, mais je serai à ses côtés, en bas, pour l’aider à remonter à la surface ».

    On a souvent confondu le dégoût de soi avec la charité, et l’amour du prochain avec le rejet de son propre bien-être. Nous nous apercevons aujourd’hui que c’est là une erreur grossière : comment peut-on apporter à autrui ce qu’on n’a pas soi-même ? Mon frère pleure, il a perdu ce qu’il aimait. Que puis-je faire pour lui si je souffre de même? Il me faut d’abord sortir de mon tunnel pour annoncer que la lumière est au bout ! « Charité bien ordonnée commence par soi-même ».

    Ainsi la démarche du yoga est-elle clairement dessinée : retrouver les bases de l’équilibre en soi-même, lancer des racines très profondes dans la terre, puis, s’élever dans la même proportion vers les cieux.

    Quand la base est assurée, je puis largement étaler mes branches autour de moi, et, tel un chêne, rayonner l’énergie et donner de la sève.

    Sivananda de Rishikesh donnait pour thème à ses disciples : « Aimer, méditer et servir ».

    On mesurera aisément le chemin parcouru et le progrès intérieur à la qualité de la relation à l’autre. N’allez pas chercher les preuves tangibles d’une marche vers l’équilibre ailleurs.

    Si vous avez de l’énergie, du « prana » à revendre, vous n’allez pas le garder pour vous, ni le mettre dans un coffre blindé, ni même dans un bas de laine ! Mettez-le au service d’un idéal commun : un lien qui vous rattache à l’humanité.

    Il est dit dans la Bhagavad-Gita que nous avons un devoir à remplir envers nous-mêmes, envers les autres, et envers notre puissance créatrice. Par exemple, que penser d’un peintre qui ne peint ou n’écrit que pour lui-même ? Toute œuvre a pour finalité un public qui la contemple et s’en nourrit.

    Il en va de même pour cette œuvre que nous sommes — en potentiel — nous avons pour burin et ciseaux le hatha-yoga, le pranayama et toutes les autres techniques que les livres, les sages nous ont léguées. L’œuvre achevée est faite pour rayonner à l’entour.

    La littérature ancienne nous transmet l’image assez désuète d’un yogi ermite, réfugié loin du monde dans une grotte, passant le plus clair de son temps à méditer dans la posture du lotus.

    Cette figure stéréotypée correspond à une ère révolue où le yoga était réservé à quelques rares adeptes, acceptés par un maître au bout d’une longue période de probation. Il en est qui naissent ermites comme d’autres naissent poètes.

    Les maîtres du yoga contemporain répandent une vision plus démocratique pourrait-on dire de la recherche essentielle. Pour eux, l’être humain porte en lui le germe d’une réussite spectaculaire. Elle concerne le développement de son potentiel latent.

    S’il est vrai que la relation à l’autre est inscrite dans les gènes de l’être humain, nous demanderons au yoga de donner plénitude à toute la variété des rapports humains.

    La tradition tantrique nous dépeint le summum de l’illumination sous les traits de l’harmonie entre Shiva et Shakti : Shiva représente le principe masculin, symbole de la conscience, Shakti le principe féminin, symbole de l’énergie.

    Il est remarquable que le couple soit donné comme l’archétype de l’ascension spirituelle. Cette réussite est une promesse qui nous attend dans la vie, à une condition : c’est de se souvenir que l’union conjugale ne saurait nous dispenser d’établir l’entente cordiale, le mariage spirituel, avec nous-mêmes.

    Micheline Flak

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